Discord, ou comment troquer sa vie privée contre quelques emotes flashy ?

Et si vos discussions « privées » étaient en réalité un produit rentable ? Voilà pourquoi Discord n’est pas si innocent qu’il en a l’air.

Il m’arrive souvent de vanter les mérites d’une vie numérique plus autonome et respectueuse de la vie privée. À chaque fois, on me demande : « Mais pourquoi ne pas utiliser Discord pour discuter ? C’est gratuit, c’est convivial et tout le monde y est ! ». Cette question me laisse souvent un brin perplexe. Car si Discord est devenu incontournable pour de nombreuses communautés, qu’il s’agisse de gamers, d’artistes, de fans de musique ou simplement de groupes d’amis, je suis sceptique quant à son respect de la vie privée. C’est un peu le même refrain que pour d’autres services en ligne : simplicité et fonctionnalités pratiques d’un côté, exploitation et centralisation des données de l’autre. Alors, avant de succomber aux sirènes de ce « café du web » moderne, je vous propose de plonger sous la surface… et de découvrir le revers de la médaille.


Un modèle « gratuit », vraiment ?

Comme je l’expliquais pour PayPal, la gratuité est rarement synonyme d’altruisme sur le web. On se doute bien que Discord n’alimente pas ses serveurs avec des bons sentiments et de la poudre de fée. Leur modèle économique repose (entre autres) sur l’offre Discord Nitro, une formule payante qui donne accès à des fonctionnalités supplémentaires (comme la possibilité d’utiliser des émojis animés partout). Mais ce n’est pas tout : comme la plupart des services en ligne, Discord collecte et analyse vos données. Pourquoi ? Parce que la donnée, c’est de l’or pour les annonceurs et les partenaires : elle peut être vendue, échangée ou utilisée pour vous profiler.

En gros, si vous utilisez Discord, vous leur faites un joli cadeau : vos conversations (textuelles, vocales, vidéo), vos habitudes de navigation (l’application vous suit plus que vous ne le croyez), et tout un tas d’informations sur qui vous êtes, ce que vous faites, et avec qui vous discutez.


Des conversations pas si privées

On a tendance à croire que les discussions sur un serveur Discord restent entre membres du serveur, dans un cocon privé. Pourtant, Discord n’offre pas de chiffrement de bout en bout pour les messages. Tout transite par leurs serveurs de manière non chiffrée (ou pas de bout en bout, pour être précis). Traduction : Discord, ses administrateurs ou des personnes malintentionnées y ayant accès peuvent potentiellement lire ou analyser vos échanges.

On pense souvent « Bah, ce n’est pas grave, on ne discute que de sujets légers ». Mais la réalité, c’est qu’au fil des conversations, on laisse échapper un nombre incroyable de petits détails sur soi : emploi du temps, centres d’intérêt, localisation, opinions… Mis bout à bout, ces fragments de vie en disent long, très long sur vous.


Le mouchard numérique de vos centres d’intérêt

Au-delà de la couche « on discute de tout et de rien », Discord est en train de devenir une véritable place de marché des communautés thématiques. Anime, technologie, cuisine, politique, cryptomonnaie… vous pouvez trouver (ou créer) un serveur sur presque n’importe quel sujet. Or, chaque serveur rejoint, chaque message posté, chaque canal consulté, devient un indicateur supplémentaire pour cerner votre profil. Rien d’étonnant, donc, à ce que Discord collecte des métadonnées : horaires de connexion, interactions, liens cliqués, centres d’intérêt… Tout cela peut être exploité pour de la publicité ciblée ou d’autres fins pas toujours avouées.

Bien sûr, il est difficile d’obtenir une preuve irréfutable de l’usage précis fait de ces informations. Les politiques de confidentialité sont souvent vagues, et Discord n’est pas particulièrement transparent sur ce qu’il advient de vos données. Mais l’historique du web nous a déjà prouvé que lorsque quelque chose est techniquement possible (analyser finement le comportement des utilisateurs), il est rare que les entreprises s’en privent.


Des règles floues et un historique qui ne s’efface pas

La gestion des données chez Discord peut également poser question : logs de connexion, historique de modifications, messages, y compris ceux supprimés, susceptibles d’être conservés. C’est le genre de situation où, si un jour la plateforme décide de bannir un compte ou si une autorité quelconque demande l’accès à vos données, Discord peut très bien livrer à la fois vos messages publics et privés.

Alors oui, la plupart des gens n’ont rien à se reprocher en apparence. Mais l’abus ou l’erreur judiciaire est toujours possible. Et au-delà de ça, c’est aussi la question du consentement qui se pose : avons-nous réellement choisi de confier la quasi-intégralité de nos interactions à un service centralisé ? Avons-nous conscience de la quantité d’informations que Discord peut accumuler sur nous ?


Les alternatives existent (et elles ont besoin d’amour)

Il serait injuste de critiquer Discord sans proposer de piste plus vertueuse. En matière de communication en ligne, des solutions comme Matrix (généralement via le client Element), XMPP ou Mumble (pour de l’audio de groupe) permettent de discuter de manière décentralisée, parfois chiffrée de bout en bout et bien moins intrusive. Bien sûr, ces services peuvent paraître moins “fun” ou moins “conviviaux” de prime abord, et il y a parfois une courbe d’apprentissage plus ou moins abrupte. Mais en échange, on gagne en autonomie, en contrôle des données et en tranquillité d’esprit.

C’est un choix de vie numérique : faut-il privilégier la facilité immédiate ou accepter de faire un petit effort pour décentraliser et protéger ses informations ? Il n’y a pas de réponse absolue, juste des compromis plus ou moins acceptables en fonction de chacun.


Conclusion : l’échange, oui… mais pas à n’importe quel prix

Alors, faut-il absolument supprimer Discord de sa vie ? Comme souvent, la décision vous revient. Certains y trouveront un outil efficace pour rester en contact avec leurs proches et leurs communautés, tandis que d’autres préfèreront fuir la collecte massive de données et l’absence de chiffrement de bout en bout. L’important, c’est d’en avoir conscience.

Pour ma part, j’ai choisi de m’en passer et d’explorer des solutions plus respectueuses de la vie privée. Bien sûr, ce n’est pas toujours aussi « simple » que de rejoindre un serveur Discord déjà établi. Mais, à mes yeux, cela en vaut la peine : je reprends le contrôle de mes données et je n’alimente pas un énième silo centralisé. La meilleure manière de protéger sa vie privée, c’est encore d’éviter de l’abandonner à ceux qui pourraient l’exploiter. Et ça, ça mérite bien de se passer de quelques emotes animés et de stickers trop mignons.


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